L'étui de la vérité

Miles Davis photographié par Irving Penn

On en parle ? Oui mais alors discrètement... Il essaye pourtant de se faire entendre mais le plus souvent on ne le perçoit que par petites touches. Dommage ! Si nous y étions plus attentif nous nous apercevrions que vivre sans lui est impossible. En effet, comment comprendre une phrase sans sa présence ? Comment profiter d'une mélodie s'il n'existait pas ? L'immense trompettiste, Miles Davis, disait de lui qu'il était un bruit très fort et qu'il n'y en avait pas de plus fort. Le grand poète René Char, pour sa part le "surnommait" : l'étui de la vérité. Lui, c'est le SILENCE. Reprenons ! Une phrase sans silences n'aurait aucun sens. Elle ne serait d'ailleurs pas prononçable. Ce ne serait qu'un son infini avec éventuellement quelques changements de fréquences. Et encore ? Bah oui, puisque pour que nos lèvres puissent effectuer le mouvement qui permettrait de changer de fréquence, il faudrait qu'il y est un arrêt entre 2 positions, donc au moins un silence. Oui je sais, ça se complique ! Notre rapport au silence est d'ailleurs, lui aussi assez complexe. Nous le cherchons souvent ou le souhaitons comme une source de recueillement, une sorte de miracle dans nos vies trépidantes. Pourtant parfois lorsque nous y sommes confrontés sans l'avoir "apprivoisé" il nous fait peur. Certaines personnes imaginent, supposent, que le silence propose une rupture trop radicale avec notre quotidien. Ce "non bruit(s)" serait invivable pour celles-ci. Tellement invivable qu'il pourrait même tuer ? En effet le silence total c'est l'image de la mort ou celle d'un sommeil profond ou bien encore celle de l'ennui. Oui je vous l'accorde cela n'est pas bien réjouissant sauf si vous manquez de sommeil ? Mais dans ce cas et contrairement au "Silence mortel", on peut faire du bruit le lendemain. Ce que je veux dire c'est que le silence est à la fois une  (re) source que l'on peut provoquer et en même temps sur laquelle nous n'avons aucun pouvoir. Il est là et parfois nous ne le savons pas. Il faut oser aller le chercher avant de ne plus rien entendre. La surdité temporaire, en somme. Quoique ? Mes silences à moi, par exemple, peuvent être Ellingtoniens, Beethoveniens, Richteriens, Jamaliens, Ciccoliniens, Argerichiens, Arthur Hiens, Bakeriens, Leprestiens, Léo férriens, Davisiens mais pas Mozartiens. Il est parfois trop bruyant pour moi sauf dans ses œuvres pour piano mais étaient-elles bien pour piano ? .... Puis parfois ce nuage cotonneux se tapisse des voix des gens que j'ai aimé, que j'aime et que j'aimerai. De là à dire que mes (les) silences sont bruyants, il n' y a pas loin ! En cela je retrouve le grand Miles ! Dans "le silence de la mer" j'ai tendance à croire que sont les vagues qui créent ce que nous appelons le silence. Ici, il est un plaisir, une joie. Notre corps s'en empare alors pour nous mener à la méditation. Mais attention le Silence n'est pas rien et rien n'est silencieux, en fait. Lorsque vous dites à quelqu'un "tu entends ce silence" et que vous répondez "oui j’entends les oiseaux", vous parlez de la même chose. Vous communiquez sur quelque chose d'impalpable, une émotion, une sensation que vous ressentez mais exprimez différemment de l'autre. Vous êtes là au plus près de votre vérité et cette fois je me tourne vers René Char et son "étui de la vérité". Si vous êtes à la recherche du silence et que vous le percevez vous êtes à un instant le plus proche de votre vérité, à la fois très fort et très fragile. Le silence à t-il toujours existé ?... Je vous laisse y réfléchir mais prenez vraiment le temps de le faire. Non pas pour trouver la réponse mais pour comprendre en quoi ce "vide sonore" est plein de sens et de vie(s).