En France on parle souvent du "phénomène des banlieues" depuis, je dirais, la fin des années 60. Il semble a priori difficile de sortir de la stigmatisation qu' engendre le fait de naître dans certains quartiers de grandes villes de notre beau pays ou tout simplement d'y vivre.
Par comparaison, tentez d'imaginer l'avenir que pouvait espérer un noir né dans un milieu modeste du quartier de Harlem en 1930. Pour s'élever socialement il fallait alors y croire ou avoir la rage chevillée au corps ou bien encore être doté d'une chance inouïe. Vous pouviez d'ailleurs ne même pas avoir la chance de penser à l'élévation sociale puisque : une bagarre, la rencontre de membres du ku klux kan ou des problèmes liés au trafique de drogue pouvait vous tuer très jeune.
C'est dans ce contexte peu réjouissant qu'est né le 7 septembre 1930 Téhodore Walter Rollins, de parents caribéens. Sonny Rollins est donc en piste ! Il vit près de lieux (Le Savoy, L'Apollo theater...) où le jazz se meut, se fait, s'anime, se montre. Alors, lui l'adolescent qui se cherche un peu et ne fait, pour l'instant, pas toujours les bons choix; porté par cette musique qu'on appelle le Jazz, fait celui d'apprendre le saxophone. Grand bien lui fasse ! Il deviendra l'un des plus grands saxophonistes et des plus populaires de l'histoire du jazz, ce qu'il est toujours même si il a arrêté de jouer publiquement en 2014.
La longévité de la carrière du géant du sax est tout simplement incroyable. Plus de 70 ans qu'il souffle... Si si c'est vrai. Notre homme a pourtant failli mourir à 71 ans lors des attentats du World Trade Center en 2001. Il vivait à l'époque tout près des lieux du drame et a du quitter précipitamment son appartement lors de l'explosion. Hébété il s'est retrouvé dans la rue avec son saxophone dans les bras mais Il est là aujourd'hui tel un roc, gardien de la tradition et à la fois passeur d'un jazz plus moderne, plus "furieux". Car oui Sonny Rollins c'est un son reconnaissable entre tous, mélange de sensualité lyrique et de fougue, de hard bop et d'un style plus chaloupé (dû à ses origines), il peut même parfois se montrer funky. Mais c'est surtout un improvisateur de génie qui ne se répète jamais et dont on attend chaque note en se demandant ce qu'il va bien pouvoir inventer. Son jeu est plein de vie d'humour et de rythme. Mais attention, l'homme est sérieux...Sérieusement mystique ! il a plusieurs fois interrompue sa carrière publique pour se "poser", réfléchir à son orientation musicale, Apprendre le Yoga en inde, jouer des heures et des heures pour travailler sa technique musicale sous un pont New-Yorkais. Son premier long silence (1959-1961) lui a permis également d'en finir avec la drogue.
Avant cette pause salutaire, l'homme qui doit sa passion pour la musique à la venue de Frank Sinatra dans son école (si si Frankie faisait ça!) quand il étai petit, avait déjà eu le temps d'enregistrer quelques albums de référence et de marquer de son emprunte l'histoire du jazz. Par exemple en 1956 il grave l'album "Saxophone Colossus" dans lequel se trouve l'une de ses plus célèbres composition "St Thomas" reprise quelques années plus tard en France par Claude Nougaro sous le titre "A tes seins". Puis durant la même période sortira "Tenor Madness" qui marque sa rencontre avec un autre grand nom du saxophone, John Coltrane. "Tenor Madness" est le seul album et le seul titre sur lequel les 2 saxophonistes enregistrent ensemble. Une longue amitié tissée par la philosophie animera les 2 hommes vers la spiritualité mais de façon différente. Coltrane aura un rapport à la drogue étroitement lié à cette spiritualité alors que Rollins s'en servira pour sortir de la toxicomanie. Mais passons à l'année 1957 où Sonny doit faire face à l'absence répétée de ses pianistes lors de répétitions. il se décide alors à modifier la structure de son groupe. Ce sera un trio dont le premier enregistrement sera "Way out of west" où shelly Manne tiendra la batterie et l'immense Ray Brown, la contrebasse. Cette forme musicale qu'il reprendra avec d'autres musiciens marquera également l'histoire du jazz.
Cette capacité d'adaptation et cette manière de se réinventer à partir de contraintes fait partie de la vie de Sonny. Il aime chercher. Il dit même que c'est ce qui le maintient en vie. C'est certainement ce qui lui a permis de jouer très vite avec les plus grand noms très jeune : Coltrane, Davis, Monk, Blakey...
L'homme a surtout cette capacité lorsqu'il reprend des thèmes qui ne sont pas personnels de se les réapproprier d'une manière incroyable. Pour comprendre cela je vous propose d'écouter sa version du standard "Mona Lisa" à la suite de l verion d'origne par Nat King Cole.